Hadaka no shima AKA Naked Island, de Kaneto Shindô
(1960)
Sur une île quasiment désertique de l’archipel de Setonaikai (au sud-est du Japon), une famille travaille sans interruption pour faire pousser graminées et légumes. La difficulté de leur tâche vient essentiellement du manque d’eau, qu’il faut aller chercher sur l’île voisine au prix d’efforts ininterrompus. Parmi les deux enfants, l’aîné va à l’école jusqu’au jour où survient un drame …
"Je voulais faire un film très créatif au niveau visuel. Raconter l’histoire avec des images. Une histoire où chaque vue exprimerait un sentiment du bonheur, de la tristesse, dans un décor naturel."
Kaneto Shindo
En 1961, la société de production indépendante Kindaï Eiga Kyokai (créée dix ans auparavant par le réalisateur Kaneto Shindo) connaît de graves difficultés financières. Afin d’éviter la faillite, Shindo doit trouver un projet potentiellement lucratif. N’ayant plus les moyens de produire un film dans un studio de Tokyo, il aborde le problème à contre-pied et envisage de réaliser une oeuvre qu’il qualifie "d’anti-commerciale" ! C’est avec trois millions de yens, soit un dixième du budget d’un film moyen, qu’il commence à travailler sur L’île nue.
Dans un premier temps, Shindo réfléchit à un scénario mettant en scène un couple de paysans et leurs deux enfants sur une île aride de l’archipel de Setonakaï. Son drame est minimaliste et le script tient sur quelques pages. Au fond, l’objectif n’est pas de construire une histoire pleine de péripéties, mais plutôt de plonger le spectateur au cœur d’une activité rurale difficile, certes, mais admirable. Rapidement, Shindo réunit une dizaine de techniciens avec lesquels il part sur l’île de Mihara non loin d’Hiroshima. Cette équipe, qui ne s’élargira pas au cours du temps, s’installe dans une auberge du village en bord de mer où elle restera pendant deux mois. Au large, une petite île désertique se dresse majestueusement hors de l’eau. Shindo la baptisera L’île nue…
L’île nue se présente encore aujourd’hui comme un OVNI cinématographique. Primée au festival de Moscou en 1961, cette œuvre unique est une fenêtre contemplative sur le dur labeur d’une famille de paysans. Pendant une heure trente, le cinémascope de Shindo suit les quatre personnages en proie aux joies et difficultés d’une existence simple mais néanmoins riche en sentiments. De ce travail, on aurait pu craindre un résultat des plus ennuyeux. Mais dès les premiers plans, nos peurs s’évanouissent devant tant de beauté et d’expressivité. La question à laquelle nous allons essayer de répondre est : "comment Shindo a t’il réussi à réaliser une œuvre si captivante avec un matériau d’une telle simplicité ?"
Oublier les dialogues…
Pour commencer, le cinéaste a choisi de développer son histoire sans le moindre dialogue. Passionné par le cinéma muet, qu’il voit comme un puits d’expressivité, il souhaite que les images de L’île nue se suffisent à elles-mêmes. L’humanité des personnages s’exprime dans un sourire lorsque le repas est dressé, ou dans des larmes lorsque le sort vient frapper leur destinée. Ici les regards pèsent plus lourd que tous les mots. La bande son est celle de la nature : on y entend le vent qui bruisse dans les feuilles, les baguettes qui tintent contre la porcelaine des bols du déjeuner ou le bruit sourd d’une bêche s’enfonçant dans la terre aride. Cette mise en scène naturaliste fonctionne à merveille et offre des séquences d’une rare intensité.
La famille composée de deux parents et deux enfants vit sur cette petite île depuis longtemps, toujours peut-être. Les saisons rythment la culture du sol et les mots ne sont guère nécessaires. Le seul objectif des protagonistes est d’assurer leur survie. Pour cela ils cherchent de l’eau douce sur l’île voisine et irriguent leur terre. Parfois la capture d’un poisson vient rompre la monotonie du travail et provoque le rire. Une autre fois un seau d’eau est renversé et occasionne une réprimande physique. Jamais l’absence de dialogues ne perturbe la narration.
L’île nue est un film du geste. Celui du travail de la terre, mais également du transport de l’eau. Les parents portent les seaux à l’aide d’une palanche. Cette tige de bois souple se tord sous le poids du liquide et force les hommes à se déhancher. De ce mouvement capté sur la pellicule de Shindo naît l’expression de l’effort, celui qui permet à l’humanité d’assurer ses besoins les plus primaires.
Prendre son temps…
Mais ce qui surprend le plus dans L’île nue, c’est la répétition des images et la longueur des plans. Le port des seaux d’eau à la palanche évoqué précédemment, le maniement de la godille pour faire avancer le bateau, l’arrosage de la terre sont autant de gestes filmés dans de longues séquences avec une patience hypnotisante. Cette attention portée à chacun des mouvements révèle le vrai visage de l’effort. Il ne s’agit pas de l’exploit violent et subi réalisé par le super héros d’un blockbuster ou d’un manga, mais de la réalité du travail. Tout n’est qu’attention, concentration et répétition.
Là encore on aurait pu craindre de s’ennuyer devant de telles images. Mais les visions de Shindo associées au thème musical – lui aussi récurrent – de Hikaru Hayashi enveloppent le spectateur dans une bulle de beauté et de contemplation. Regarder L’île nue, c’est comme observer l’apparition d’un arc-en-ciel ou le coucher du soleil … Ici, il y a un amour de la photographie qui rappelle Soy Cuba (1964) de Kalatozov. D’ailleurs le premier plan de chacun des deux films est quasiment identique et d’une beauté comparable (un long travelling aérien sur le décor où va se dérouler le drame).
Rester naturel
Si les images de Shindo sont splendides, c’est parce qu’il a su les composer avec une patience amoureuse mais aussi parce qu’il a choisi de tourner avec le plus grand naturel. Il faut avouer que les paysages de l’archipel nippon sont tout simplement sublimes : la mer est lisse, le relief découpé avec harmonie et les cieux riches en nuances. Dans ce décor, chaque élément contribue à la méditation et Kaneto Shindo opte pour le noir et blanc afin d’évoquer l’aspect brut de cette beauté : au regard du spectateur, les îles de Setonakaï font figure de paradis sur Terre et le cinéaste amplifie ce sentiment grâce à un soin du cadrage de tous les instants. En revanche, pour les habitants de l’île, la beauté n’est pas évidente : les quelques kilomètres carrés de terre et de rochers perdus dans une mer cristalline constituent la source de leur souffrance. Cette opposition entre la beauté plastique du paysage et la difficulté à y vivre est suggérée par une photographie où les filtres orangés exacerbent les contrastes : les noirs sont profonds, les cieux assombris, tandis que les nuages et les roches sont d’une blancheur brute, presque aveuglante. Au-delà de cette symbolique suggérée par l’image, chaque plan est un superbe cliché qui impressionnera les photographes amateurs et captivera les yeux des spectateurs de tout âge.
Dans un souci de perfectionnisme kubrickien - entre les deux artistes le rapport à la photo est évident - Shindo accentue le naturalisme de sa mise en scène grâce à des comédiens complètement fondus dans le paysage. Paradoxalement, c’est le manque de moyens attribués à la production qui finit par engendrer un tel résultat : ne pouvant avoir sous contrat des acteurs de renommée, Shindo se tourne vers deux de ses connaissances, Nabuko Otowa et Taiji Tonoyama. Il leur propose le rôle du couple en leur promettant qu’ils seront payés si le film fait des bénéfices ! Pour Tonoyama, c’est la première fois qu’il incarne un personnage principal. Acteur de second rôle, il est choisi pour son professionnalisme mais également pour son origine insulaire : natif d’une île voisine à celle du tournage, Tonoyama est familier avec la ruralité de l’archipel et endosse le rôle avec une facilité déconcertante. Son déhanchement lorsqu’il porte les seaux d’eau, son agilité à manier les outils en font un paysan tout à fait crédible. Parallèlement, la jeune Otowa est très à son aise dans ce personnage de femme meurtrie par l’effort et infaillible dans sa détermination. C’est peut-être elle qui, dans le film, incarne le plus intensément la souffrance humaine : lorsque la palanche pèse sur ses frêles épaules, tout son corps s’affaisse et ses muscles se raidissent à l’extrême. Ici, il n’y a pas de place pour la simulation. Les seaux sont bien remplis et l’effort est réel. La performance des deux comédiens est étonnante et sera applaudie par la critique du festival de Moscou en 1961. Pour l’anecdote, Shindo rappelle dans le commentaire audio du DVD que les journalistes étaient persuadés que Nabuko Otowa et Taiji Tonoyama étaient de véritables paysans ! Si cette idée peut paraître saugrenue elle n’est pas totalement idiote puisque tous les autres protagonistes du film sont des habitants de la région …
Les deux enfants, par exemple, viennent du village qui abrite l’équipe de techniciens. Shindo les a repérés dans une école voisine et leur a proposé le rôle ! De la même façon, tous les autres personnages (des figurants), sont filmés sur leur lieu de vie. Lors des plans du village, il n’y a quasiment aucune mise en scène. Cette approche documentaliste de la réalisation, offre des séquences d’une rare harmonie et participe à la splendeur qui émane de L’île nue.
Finalement, ce treizième long métrage de Shindo se présente comme un film d’une rare beauté et d’une profonde intensité dramatique. Nous l’avons vu, ce résultat fascinant n’est pas le fruit du scénario, mais d’une mise en scène ingénieuse et profondément intelligente. Dans les "Lettres françaises", George Sadoul fait également part de sa fascination pour le travail de Kaneto Shindo : "Dans l’île nue, film sans paroles, la révolution du montage sonore devient plus évidente. Un simple soupir y prend une valeur expressive comparable à ce que fut un battement de paupière pour exprimer une profonde émotion au temps du muet".
L’île nue est évidemment d’une incroyable richesse. Celle qui marque les mémoires d’une empreinte immuable liée à des valeurs universelles. Les efforts entrepris par nos héros sont simplement humains et, à fortiori, proches de tous les spectateurs. En supprimant les dialogues et en filmant le labeur, le drame et la beauté de la nature, Shindo affranchit son film de toute barrière culturelle. Son succès, tant public que critique, sera mondial. A chacun désormais, de faire abstraction de ses peurs face à un cinéma contemplatif et muet et de se plonger dans cette oeuvre d’une rare force cinématographique.
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Sílení AKA Lunacy, de Jan Svankmajer
(2005)
D’après un scénario original, le scénariste, plasticien et réalisateur, Jan Svankmajer, a réalisé son film, Sileni, qui se caractérise par son genre d'horreur philosophique et par sa combinaison entre le film et l'animation. Son propos s’articule autour de la liberté absolue, de la répression sociétale et de la manipulation. Le scénario est librement inspiré par le sujet de deux contes d'E. A. Poe: "L'ensevelissement prématuré" et "Le système du docteur Goudron et du professeur Plume". Ces thèmes sont imbriqués au sein d’une même intrigue, indépendante de celle des contes. Le Marquis est l’un des protagonistes. Ce personnage est inspiré du Marquis de Sade. En apparence, la diégèse de ce film se déroule en France au début du XIXème siècle. Elle est pourtant pleine d’anachronismes et d’allusions à notre civilisation actuelle car il s’agit d’une allégorie du monde contemporain.Son travail concerne plusieurs médias. Il est mieux connu en dehors de la République Tchèque pour ses animations, qui ont considérablement influencé d'autres artistes (dont les frères Stephen et Timothy Quay). Ses deux travaux les plus connus sont probablement Alice et Faust.
pour vous donner une meilleure idée de la chose, hop hop hop on youtube
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El Topo, de Alejandro Jodorowsky
(1970)
Il y a des images de cinéma qui sont plus fortes et plus durables que les autres. Certaines des images d’El Topo restent de fait d’une très grande puissance, trente ans après leur mise en boîte. On peut se l’expliquer par trois de leurs caractéristiques. Premièrement, Jodorowsky pratique le « plan suffisant » : chaque plan travaille une idée, qu’elle soit visuelle, sonore ou narrative. Autrement dit, chaque plan d’El Topo est à sa manière autonome - ce n’est pas innocent : comme une case de bande-dessinée. Oui, ce qui compte, c’est moins le flux que le choc des images. Prenons trois exemples. Visuel. Trois bandits sont enveloppés de sacs blancs, placés contre un mur, exécutés. Le sang jaillit des trous percés dans les sacs blancs, les bandits s’écroulent. Sonore. Pour définir le moment où doit commencer un duel au pistolet, un ballon de baudruche est jeté à terre, et se dégonfle en sifflant. Lorsque le sifflement stoppe, les adversaires devront dégainer. Le long plan sur le ballon qui siffle incarne une pure tension. Narratif. El Topo abandonne son fils à quatre moines habillés en noir. Nous sommes en plan frontal : l’image de l’enfant tout nu contre les moines devient l’image de l’enfant habillé en petit moine, toujours contre les moines. En deux images, sembables à ce détail près, voici racontée toute l’enfance du fils d’El Topo.
Deuxièmement, mais on est toujours dans cette esthétique du choc, Jodorowsky use à l’infini du jeu sur les contrastes : le bee-gee, très grand - joué par Jodorowsky lui-même (il concocte également les décors et les costumes), couche avec la naine, les caleçons, en soie rouge ou à cœur, contrastent avec les allures martiales des personnages, le désert - où l’on se promène en parapluie - se transforme en océan, les lapins blancs sont dévorés par les corbeaux noirs, une mare de boue se transforme en mare de sang, un tout jeune enfant, l’innocence même, achève un homme à terre - ultime cruauté, etc. La mise en scène redouble ces contrastes, par son jeu constant sur les plongées et les contreplongées, ses passages brusques des gros plans aux plans larges (soit en cut, soit par des zooms violents) et réciproquement. Qui plus est, Jodorowsky a un goût prononcé pour les montages hétérodoxes et frappants : montages attractions, montages alternés de séquences différées dans le temps, montage par recadrages avant (par exemple d’une brebis crucifiée).
Enfin, le réalisateur développe un imaginaire absolument clos et cohérent. Les motifs géométriques, entre autre, se succèdent : triangles, cônes, polygones, dodécaèdres en allumettes. Il semble également obsédé par les éléments : sable, eau, roche des falaises et des grottes, feu (par qui l’on s’immole) vent qui ne cesse de saturer la bande-son. Par dessus tout, le corps est au centre du film, tatoué au fer rouge, fessé, castré, traversé par les balles, plongé dans le sable, ou dans une orgie au sous-sol d’un saloon, pour faire l’amour. De ce corps, toutes les difformités sont bienvenues : des mutilés (que Jodorowsky adore faire tomber sous les balles), des nains, des obèses. Quasiment tous les personnages du film sont d’ailleurs métonymiquement associés à un animal-totem, sur le modèle d’ « el topo », la taupe : cochons noirs, lapins, lion, varans, scarabées que l’on suce (manifestement c’est une drogue troglodyte assez efficace), abeilles.
Bien sûr, le sexe et la question de la sexualité sont omniprésents : une image forte et célèbre du film montre une femme ouvrant en deux une tête de cactus, y passant le doigt, puis la langue. Les rapports sexuels dits exotiques sont donc convoqués - homosexuels, entre jeune et vieux, entre noirs et blancs, sadomasochistes. Enfin, le corps mourant est essentiel dans El Topo, où l’on meurt beaucoup, mais toujours de la même manière : brusquement, dans des flots de sang. La mort est traitée avec indifférence mais comme spectacle, et très souvent, Jodorowsky la fabrique même au montage, juxtaposant une image de la personne en vie à une image de la personne en sang, raccordées par un bruit de détonation - la scène où toute une assemblée joue à la roulette russe, et où c’est finalement un enfant qui se tue, en est exemplaire. Les morts permettent alors au réalisateur de fabriquer des visions spectrales en plan large de champs de cadavres d’humains et d’animaux mêlés. Dans une des toutes premières séquences du film, El Topo traverse un village où la population a été intégralement massacrée.
Donc, une image forte chez Jodorowsky se caractérise par 1) son autonomie 2) ses contrastes 3) le renvoi à un imaginaire clos - élémentaire, corporel. Précisons cependant que le film fonctionne sur le principe de la succession plus que de l’enchaînement. Le héros est poussé par sa maîtresse à assassiner les quatre "maîtres", d’où le Jésus en string, d’où le Russe en fourrure, d’où l’Aborigène au filet à papillons. Puis, trahi par elle, il gagne les sphères de la sainteté, il se dévoue pour une communauté de pouilleux en butte au rejet d’un village empli de bourgeoises sadiques, décadentes (type La Goulue) et racistes. Bref, El topo va de rencontres en rencontres, ce qui le rend quelque peu répétitif. Il faut aussi mettre de côté la dimension mystique du film, un peu trop appuyée, bouddhisto-christique, mâtinée de flower power et agrémentée de séquences de transe sous percussions. Jodorowsky est paraît-il un spécialiste reconnu du tarot de Marseille : mais c’est en tant que metteur en scène qu’il s’impose dans El Topo.
- Romain Lecler
en lire plus sur Jodo, lire larticle qui lui est consacré sur wikipedia, et on clique ici
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3 commentaires:
je viens de découvrir ton blog par hasard (je cherchais "Battles"...) et je tombe sur tous ces films ! C'est merveilleux ! le jodorovsky et le svankmajer sont en cours et je pense que je vais passer qqs longues heures à éplucher tes pages ! merci !
Hey ... this is a great blog! I wish more people would include film in their blogs.
One quick question before I venture into the downloading of Sílení (Lunacy). Is it subtitled? And if so is it subtitled in English or French ... English being the subs I need.
Thank you, and keep up the good work ... it really is appreciated.
Urdhr
http://divxsubtitles.free.fr/files/EL_TOPO.zip
pour les sous titres, et merci beaucoup
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